Je ne suis pas née femme

November 21, 2017 by A Grrrl

Je ne suis pas née femme. Je suis devenue une femme.

Rien que pour comprendre et expliquer cette petite phrase1 il y a de quoi écrire des kilomètres de thèses et de pamphlets et d’essais. Du coup c’est pas trop étonnant qu’on se contente de la répéter comme une espèce de mantra sans plus trop réfléchir à ce qu’elle implique. C’est pas étonnant mais c’est dommage.

Pour devenir quelque chose il faut savoir ce que ce quelque chose est. Donc se demander c’est quoi être une femme ?

Et puis si on peut devenir une femme, est-ce qu’on peut devenir un homme ? Et c’est quoi être un homme ?

De même, si on peut devenir quelque chose, ça signifie aussi que ce quelque chose n’a pas de qualité intrinsèque qu’il soit impossible d’acquérir.

« Devenir une femme », ça dit en creux qu’il y a pas d’essence au fait d’en être une.

Exit donc l’essentialisme et la nature et le biologique. On est entièrement dans le social.

Maintenant qu’on a établi2 que le genre est une construction sociale, il faut appeler Butler et la performativité du genre3 à la rescousse pour rappeler que ce qui est social n’existe qu’en rapport à la société4 c’est à dire à travers ce que l’on montre aux membres de la société et la manière dont il⋅les le perçoivent.

Je vais à présent faire une petite digression du côté de Wittig et son « Les lesbiennes ne sont pas des femmes5 » pour essayer de trouver ce qui fait les hommes et ce qui fait les femmes.

Wittig analyse les genres sous le prisme du matérialisme dialectique6 et de la domination hétéropatriarcale pour trouver ce qui différencie hommes et femmes dans le but de le détruire et mettre fin à cette domination.

Elle montre qu’il existe entre hommes et femmes un rapport de classe, tout à fait similaire à celui existant entre bourgeoisie et prolétariat au sein duquel les hommes tirent profit de la force de travail des femmes.

Elle en déduit que ce qui fait une femme, c’est de voir sa force de travail être exploitée au bénéfice des hommes et en conclu que les lesbiennes, qui parviennent à exister au moins en partie en dehors de leur rapport aux hommes7 ne sont pas des femmes.

J’ai à peu près posé les jalons de là où je voulais en venir :

On apprend avec DeBeauvoir qu’il n’y a pas de nature dans le genre et on voit avec Butler que le genre n’existe que dans un rapport à la société comme les autres construits sociaux que sont la classe (avec Wittig) et la race (dont je n’ai pas parlé ici)

Au final, être une femme et être un homme ne sont pas des qualités intimes qui ne concernent que nous-même.

Il ne s’agit pas de simplement déclarer notre genre en faisant fi de notre rapport à la société pour que tous les bénéfices et les préjudices matériels qui y sont liés disparaissent.

Le genre est lié à la manière dont la société nous lit. Et on ne pourra pas faire disparaître les dominations de genre sans s’extraire de cette lecture par la révolte et la lutte contre ses injonctions au conformisme.

De plus, Wittig dit que les lesbiennes ne sont pas des femmes, pour autant elles ne dit pas qu’elles sont des hommes. Il faut rappeler que Wittig est elle même lesbienne politique et ça lui aurait sûrement arraché la gueule de se voir qualifée d’homme.

ce qui inscrit complètement la non-binarité dans la réflexion politique puisque de fait, il existe au moins cette troisième catégorie de personnes qui ne sont ni des hommes, ni des femmes (et dont je fais partie en tant que non-homme non-hétéro)


  1. Qu’on doit à Simone DeBeauvoir en 1949 et qui n’est, à ma connaissance, remise en question par aucune féministe, peu importe la tendance (sauf peut-être quelques essentialistes ici où là mais qui leur trouve quoi que ce soit de pertinent ?)

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  2. En une phrase, bien joué Simone. [return]
  3. 1990, 41 ans après Simone. [return]
  4. Merci captain obvious. [return]
  5. 11 ans avant Butler, vous suivez ? [return]
  6. Ce qui l’empêche pas d’abondamment critiquer Marx pour n’avoir pas tenu compte du travail extorqué gratuitement des femmes pour le compte du capitalisme.

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  7. Puisqu’elles ne leur sont plus assujetties en ce qui concerne le travail domestique et le travail reproducteur.

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